INNOVATION. La FD Cuma et la Chambre d’agriculture organisent une journée “Séchage en grange”. Sébastien Jouanel, éleveur de brebis, aimerait sauter le pas pour des raisons économiques et sanitaires.
Au milieu de la bergerie du Gaec de la Goulandie, à Saint-Front-d’Alemps, les 800 mères et 160 agnelles de Sébastien Jouanel bêlent joyeusement. « Elles savent que quand on passe, potentiellement, on pousse l’aliment et elles peuvent remanger », sourit l’éleveur. Pour l’heure, c’est de l’aliment mélangé qu’il leur met à disposition. Mais depuis quelques années, il songe à une autre solution. Installé en Gaec avec son frère depuis 2005, Sébastien Jouanel a commencé par produire de l’ovin viande en label Périgord ; jusqu’en 2019 où les deux frères décident de basculer en ovin lait en même temps qu’en bio. À peu près au même moment, ils s’interrogent sur une autre manière de mener l’alimentation de leur cheptel jusqu’à rejoindre le GIEE (Groupement d’intérêt économique et environnemental) Pastura, qui porte entre autres sur le séchage en grange.
« Au départ, monter un tel projet nous semblait peu envisageable tout seuls. Mais vu l’évolution de la conjoncture, nous nous sommes dit “Pourquoi pas ?” », raconte l’éleveur, qui ne manque pas d’arguments positifs pour justifier de cette envie de changement. À bien des égards, tout pourrait se résumer à un aspect financier. Posséder un séchoir à la ferme éviterait de se servir d’une mélangeuse pour la distribution du foin ou de devoir embaucher de la main-d’œuvre pour la période d’ensilage. « Cela signifie moins de dépenses de gasoil ou de charges. » Mais aux yeux de Sébastien Jouanel, ces avantages ne sont pas les plus importants.
Coupes précoces
Selon un nutritionniste, les frères Jouanel pourraient diviser par deux la facture d’achat d’azote pour leur cheptel, tout en conservant la qualité de leur production.
« On accéderait ainsi à une meilleure autonomie protéique. À l’heure où le prix du soja bio tourne autour de 1 400 Ä/tonne, ça ne fait pas tout mais ce n’est pas négligeable », souligne l’éleveur, qui envisage par ailleurs des bienfaits sanitaires : « Profiter du fourrage séché en grange éviterait la listeria et les butyriques, des bactéries que l’on peut trouver dans l’enrubanné. Tous les agriculteurs qui ont un séchoir ont vu leur taux de cellules baisser de même que leurs frais vétérinaires. La qualité du lait est meilleure et la longévité du troupeau plus importante. »
Côté récolte aussi, Sébastien Jouanel n’y voit que des atouts. Le séchoir permet en effet de tenter des coupes précoces – dès le mois de mars – sur des fenêtres de tir très petites. « La récolte se fait sur du long terme avec des périodes d’action de 48 ou 72 h de beau temps. C’est un confort par rapport à l’ensilage où, avec 80 hectares à ensiler, on joue toute la saison sur trois jours alors qu’avec le séchoir, on peut louper une coupe et se rattraper sur la suivante. » Pour les frères Jouanel, qui ont un parcellaire assez morcelé, ils y voient aussi l’occasion de « valoriser davantage nos prairies ; on aura vite fait de rentrer une vingtaine d’hectares que l’on délaisse aujourd’hui ».
500 tonnes de matière sèche
Le Gaec de la Goulandie est aujourd’hui à un tournant. « Soit nous continuons avec de l’aliment fermenté et il faut investir dans des silos plus grands, soit nous lançons le séchage en grange. »
L’objectif des Jouanel serait d’atteindre 500 tonnes de matière sèche stockée pour alimenter l’ensemble de leur cheptel. Une première entreprise leur avait monté un projet de bâtiment de 24 m/60 m, avec photovoltaïque sur la toiture et récupération de chaleur. Mais à un million d’euros, c’était bien trop cher pour que les frères se lancent sans, en plus, de quelconque garantie sur la valorisation. Aujourd’hui, ils ne veulent pas se précipiter mais n’envisagent pas une autre option de développement. Ils attendent d’autres devis pour enfin sauter le pas.
POINT DE VUE
Laurence Vigier, Animatrice du GIEE Pastura
“Le GIEE Pastura a débuté en février 2020 pour durer trois ans. Nous sommes sur la fin. Le séchage en grange était l’un des trois thèmes de travail. Le groupe de 11 agriculteurs est resté le même depuis le début. Huit ont suivi la formation et deux sont particulièrement prêts à basculer vers le séchage en grange. Ce qui freine les autres, c’est le manque de certitude sur le fait de pouvoir faire une plus-value. Pour l’instant, elle n’existe pas. Celle qui s’appliquait sur le lait bio de vache, par exemple, est en baisse. De fait, les producteurs ne sont pas tranquilles et hésitent à investir.”