Il n’ose pas sortir ses vaches

Au bas d’un de ses prés, Laurent Virefleau a eu la surprise de découvrir deux mares boueuses en lisière de bois. Les sangliers se sont créé leur jacuzzi privé, à l’ombre. (Ph. L. Lemaire)

SANITAIRE. Acculé par la pression de la faune sauvage et marqué par un abattage total, l’an dernier, Laurent Virefleau, éleveur à Saint-Martial-d’Albarède, se refuse à laisser son troupeau pâturer dans ses prés.

Dans les presque 100 hectares de SAU (surface agricole utile) qui entourent sa ferme, Laurent Virefleau ne compte aucune vache. Pas une seule tête de limousine à l’horizon alors qu’il y a peu, l’herbe était haute et verte, et les températures parfaitement adaptées pour mettre tout son troupeau au pré. À la place, l’agriculture de Saint-Martial-d’Albarède fait le compte de toutes les balles de foin qu’il a enrubannées ces dernières semaines, et des dégâts (trous et autres mares) creusés par les hardes de sangliers qui prolifèrent autour de chez lui. « L’autre jour, j’ai même trouvé des traces dans la cour de ma ferme, juste devant la stabulation », s’alarme-t-il.

La situation serait moins angoissante si l’élevage de Laurent Virefleau n’avait pas subi un abattage total, dans le cadre de la lutte contre la tuberculose bovine, en mars 2022. 140 bêtes dont 40 mères prêtes à vêler que l’éleveur a dû conduire à l’abattoir lui-même. Un véritable traumatisme qu’il résume sobrement : « En 2022, je n’ai pas passé une bonne année ». Suite à quoi, quelques semaines après, un sanglier prélevé non loin de son exploitation, présentant des lésions au dépouillement, subit des analyses et se révèle positif à la maladie. « C’est l’unique cas sur les 19 signalements de sangliers réalisés en 2022, souligne Catherine Carrère-Famose, directrice de la DDETSPP (Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations). La prévalence est moindre qu’avec les blaireaux, et il faut bien noter que la souche de la maladie vient du bovin pour aller vers le sanglier davantage que l’inverse. »

Alors quand, au sortir de l’hiver, il y a quelques semaines, Laurent Virefleau a constaté les trous de sangliers qui parsemaient ses prés destinés au pâturage, il refuse de faire sortir les 155 vaches de son troupeau reconstitué. « Quand vous avez passé l’année que je viens de vivre, vous ne remettez pas vos vaches au pré », assène-t-il vivement, dénonçant par là-même l’absence de réactions des services de l’État comme du lieutenant de louveterie, intermédiaire inévitable entre les agriculteurs et les chasseurs, dans la lutte contre la tuberculose bovine. « Quand on téléphone pour qu’il y ait une battue administrative, personne ne réagit. »

Sans réponse

« Ce qu’il faut dénoncer, c’est surtout le manque de contrôle sur la faune sauvage, renchérit Christophe Aumaître, éleveur à Savignac-Lédrier, venu soutenir son collègue. Le fait qu’il y ait une intransigeance concernant les élevages et un tel laxisme autour de la faune sauvage est insupportable. » Rémy Gayout, président du GDS (Groupement de défense sanitaire), explique : « La faune sauvage d’un foyer, d’office, est reconnue infectée. De fait, plus aucun test n’est pratiqué dessus. On arrête de chercher l’infection, notamment pour éviter d’augmenter la prévalence, ce qui remettrait en cause le statut indemne de la France à l’international (et empêcherait l’exportation d’animaux, ndlr). »

Néanmoins, le préfet autorise, voire favorise, les moyens d’action tels que les tirs de nuit, les battues administratives, les chasses dérogatoires ou les piégeages intensifs. « Le problème est qu’il y a obligation de moyens mais pas de résultats. Le suivi n’est plus ce qu’il était et je comprends que ça soit très frustrant de ne pas savoir si les animaux abattus sont infectés ou non », déplore Rémy Gayout. « Cette année est la troisième d’une expérimentation de piégeage de sangliers avec quatre cages installées dans les communes points noirs, au plus près des foyers, précise Catherine Carrère-Famose. Sur ces piégeages, il y a systématiquement des analyses pour vérifier les sangliers positifs. Nous aurons les résultats en octobre. Mais de toute façon, nous ne pouvons pas éradiquer toute la faune sauvage. » L’objectif est d’étoffer, données chiffrées à l’appui, l’idée que la tuberculose se transmet d’abord des bovins à la faune sauvage.

En attendant, Laurent Virefleau a fait « des efforts considérables », selon Rémy Gayout, pour éviter la propagation de la tub’, en gardant ses animaux dans la stabulation. « Mais c’est un non-sens économique et environnemental », selon Christophe Aumaître. L’éleveur évalue en effet à 4 000 Ä tout son travail pour faucher et enrubanner les foins qui lui servent à nourrir des vaches qui auraient pu tranquillement brouter l’herbe des prés.

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